Interview avec Fabiano Caruana
En général, je n'aime pas les complications qui conduisent à un jeu irrationnel contrairement à des joueurs comme Judit Polgar par exemple.
GB- Vous êtes la révélation du tournoi de qualification de cette 8ème édition. Pratiquement inconnu il y a encore 2 ans, à seulement 16 ans vous apparaissez sur le devant de la scène internationale avec un Elo de 2640. Pouvez-vous nous résumer votre parcours ?
Fabiano Caruana : Je suis né aux Etats-Unis où j'ai appris à jouer aux échecs à 5 ans à l'école. Puis l'un de mes premiers professeurs fut Bruce Pandolfini et ensuite le GM Miron Sher. Mes progrès furent très rapides et à 10 ans j'ai remporté ma première partie contre un GMI. Lorsque j'ai eu 12 ans j'ai décidé de consacrer ma vie aux échecs, ceci avec l'aide de ma famille. Nous avons décidé de nous installer en Espagne, car poursuivre une carrière de joueur professionnel d'échecs aux Etats-Unis était trop difficile. Nous avons songé aussi à l'Italie mais les conditions pour trouver des entraîneurs n'étaient pas trop favorables. J'ai pris des cours avec le MI Boris Zlotnik et le GMI Ubilava et mon Elo a dépassé les 2500. En 2007, nous nous sommes installés en Hongrie (nous avons aussi envisagé la Russie, précise le père, mais nous ne connaissions pas la langue). Avec l'aide du GMI Chernin, j'ai obtenu très rapidement les 3 normes nécessaires pour le titre de GMI.
GB- Vous jouez sous les couleurs de l'Italie, quel est le lien qui vous unit à ce pays ?
FC- Ma mère est italienne. J'ai donc la double nationalité.
GB- La première partie que je connais de vous m'a interpellé. Une victoire spectaculaire à la Mitropa Cup contre Neubauer, un gambit Chatard-Alekhine face à la Française. Etes-vous un attaquant téméraire ?
FC- Non, je me considère plutôt comme un joueur positionnel. En général, je n'aime pas les complications qui conduisent à un jeu irrationnel contrairement à des joueurs comme Judit Polgar par exemple. Certainement je calcule bien mais je ne m'estime pas être un joueur essentiellement tactique.
GB- Comment avez-vous vécu votre match contre Karpov en quart de finale ? C'est sans doute votre première confrontation avec un champion du monde ?
FC- Oui, en effet mais je pense que j'avais quelques chances de gagner. Dans la première partie, après avoir placé mon cavalier sur « f5 », j'étais un peu mieux mais à la fin, à cause du manque de temps, c'était devenu complètement égal. Dans la 2ème partie je crois que j'ai utilisé la bonne stratégie avec une position hérisson à double tranchant. Une position difficile car il faut jouer pas mal de coups avant d'avoir du contre-jeu. Je ne voulais pas me laisser embarquer dans des complications tactiques mais Karpov a joué très passif et j'étais de mieux en mieux.
GB- Mais pourquoi avoir insisté avec l'Espagnole, l'ouverture de prédilection d'Anatoly ?
FC- Je ne pense pas que mon choix était erroné. Je voulais simplement obtenir de bonnes positions au sortir de l'ouverture et avoir des chances pour gagner. Dans la 2ème Espagnol, Karpov a joué une variante inférieure mais il a réussi à trouver une suite très difficile à réfuter. Je me suis trompé et j'ai fais une stupide inversion de coups.
GB- Jouerez- vous au premier échiquier de l'Italie aux Olympiade à Dresde dès le mois prochain ? Connaissez-vous bien vos co-équipiers ?
FC- Oui, je vais jouer à Dresde et je connais toute l'équipe.
GB- Pour jouer à un tel niveau vous êtes donc déjà professionnel ?
FC- Oui et je suis venu en Europe pour trouver les meilleures conditions et les meilleurs entraîneurs.
GB- Quels sont vos objectifs ?
FC- D'entrer rapidement dans le club des meilleurs joueurs du monde. Il est très important que j'y parvienne le plus rapidement possible, dans les deux ou trois prochaines années.
GB- Vous travaillez très dur pour cela.
FC- Près de 6 heures par jour.
GB- Beaucoup de tournois en perspective ?
FC- Oui. Après les Olympiades, le tournoi B de Wijk aan Zee, le championnat d'Europe individuel, l'Aeroflot à Moscou et un tournoi fermé en Espagne sont déjà à l'agenda.
GB- Est-il vrai que vous avez vécu à quelques centaines de mètres de l'appartement qu'occupait Bobby Fischer?
FC- Oui, nous habitions à Brooklyn dans le voisinage de l'endroit où vivait Bobby (et son père surenchérit « Fabiano a joué aux mêmes endroits que le mythique 11ème champion du monde mais nous ne l'avons bien sûr jamais rencontré puisque nous avons aménagé en 1996 »).
Georges Bertola
Cap d'Agde 30.10.2008